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Le conflit technologique sino-américain pousse Pékin à mieux contrôler ses exportations de métaux critiques et de terres rares, au risque de retarder les projets européens en matière de transition énergétique.
Le partage des tâches est connu. Washington domine l’innovation et le secteur des produits technologiques à haute valeur ajoutée (Cloud, IA, IT), alors que Pékin contrôle la chaîne d’approvisionnement plus en amont : l’extraction des minerais critiques, terres rares et le raffinage de ces deux dernières.
L’ordre du monde aurait pu s’en tenir là si, ces dix dernières années, les deux géants n’avaient pas autant démontré leur interdépendance que leur volonté d’arsenaliser leurs avantages compétitifs. Ainsi, régulièrement, les États-Unis interdisent l’exportation de puces, poussant la Chine à riposter par des limitations sur la vente de certains métaux et terres rares, « sans, pour l’instant, provoquer une escalade de restrictions », nuance Elvire Fabry, chercheur à l’Institut Jacques Delors.
Pékin en capacité de stopper net ses exportations
Dernier fait marquant, au mois d’août : Pékin a annoncé un contrôle accru de ses exportations d’antimoine, un minerai critique, utilisé dans le photovoltaïque ainsi que pour des usages militaires, y compris par les Etats-Unis. Désormais, les entreprises chinoises devront obtenir une licence du gouvernement pour exporter le précieux minéral, « assurant, pour Pékin, une traçabilité des usages du métal », explique Vincent Donnen, analyste financier et consultant en métaux critiques. Des contrôles similaires ont été appliqués auparavant sur le gallium, le germanium et le graphite. Le 1er octobre dernier, la Chine a également annoncé augmenter sa participation dans les entreprises d’extraction et de raffinage.
Des signes inquiétants. Et pour cause, ils démontrent que Pékin est en mesure de couper à tout moment le robinet de matière première « et particulièrement celui des terres rares »,souligne Thibaud Voïta, chercheur associé à l’IFRI. Dans un tel scénario, les conséquences seraient désastreuses : la Chine contrôle aujourd’hui 97% de la production de terres rares et raffine 80% de l’offre mondiale de métaux.
La transition écologique européenne menacée
« Au cours des derniers mois, l’antimoine est passé de 15 à 38.000 dollars la tonne, les Occidentaux cherchent donc de nouvelles supply chain pour contourner la Chine. Quand ils auront trouvé une solution, la Chine relâchera son antimoine en grande quantité et à bas prix, détruisant toute la compétitivité des solutions alternatives construites par les Occidentaux. C’est ainsi que la Chine s’assure une absence de concurrence », explique Vincent Donnen.
L’Union européenne est donc propulsée, malgré elle, dans ce conflit technologique sino-américain. En 2020 déjà, l’entreprise suédoise de batteries Northvolt faisait face à une rupture de sa chaîne d’approvisionnement en graphite : la Chine ayant, en effet, interdit les licences d’exportation vers la Suède. Un choix loin d’être anodin puisque les investissements de Pékin pour la production de batterie Made in China explosaient au même moment.
« Outre les restrictions, il faut voir comment ces annonces chinoises influent sur les prix », insiste Capucine Nobletz, chargée de recherche à l’Institut Louis Bachelier et à la Banque de France.
Si les prix de ces minerais restent globalement bas, en raison de l’abondante offre chinoise, les annonces de contrôle à l’exportation ont tout de même fait monter certains cours. Le gallium – dont 71% des importations européennes viennent de Chine – est passé de 350 à 550 dollars le kilo en l’espace d’un an. À cette hausse de prix s’ajoute le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, rendant l’avenir des marchés des métaux encore plus sombre. Résultat, certaines entreprises européennes stockent en prévision de temps difficiles.
« Mais les stocks ont un coût, d’autant plus que la qualité de certains minerais peut diminuer avec le temps », ajoute Elvira Fabry.
Si l’ultra dépendance à la Chine est une menace pour la filière des puces et plus généralement des hautes technologies aux États-Unis, le risque se pose sur d’autres secteurs en Europe.
« L’Union Européenne s’est dotée d’ambitions importantes en matière de transition écologique. Or, on a besoin de ces métaux pour les véhicules électriques, les éoliennes, les batteries, les panneaux photovoltaïques. Cette dépendance chinoise pose donc le risque de prendre du retard sur notre transition énergétique », explique Capucine Nobletz.
Il n’y aura donc pas de transition écologique européenne sans un approvisionnement stable en métaux critiques et terres rares. La Commission européenne l’a compris. En 2020, l’Alliance européenne pour les matières premières voyait le jour, 4 ans avant une première directive ambitieuse pour les métaux critiques.
Le recyclage, une opportunité pour l’Europe
Entre le mastodonte chinois de l’extraction raffinage, l’innovation américaine et les milliards de dollars de l’Inflation Reduction Act, quelle place pour l’UE dans l’ordre mondial des métaux et terres rares ?
En septembre, le rapport Draghi prévenait du risque de pénuries sur certains minerais, à moins que l’Europe ne travaille à leur recyclage. En effet, si les sous-sols européens ne regorgent pas d’autant de métaux critiques que nécessaire, ces derniers restent présents partout à la surface : dans les téléphones, véhicules et batteries des consommateurs. Des ressources qui pourraient être mieux valorisées.Interrogé par l’AFP, Moez Ajmi, spécialiste de l’énergie au cabinet de conseil EY, estime qu’une filière de recyclage pourrait peser 10 à 15% du PIB des pays développés d’ici une quinzaine d’années, « à condition que les banques et les États accompagnent les projets ». Car c’est bien dans le financement d’un projet européen solide que le bas blesse. La réouverture de mines, un objectif pourtant affiché par l’Union européenne, patine.
En cause : une extraction « verte » qui coûte trop cher, des recours environnementaux nombreux, et « un immobilisme et une perte de savoir-faire au cours des 30 dernières années », selon Vincent Donnen. Malgré tout, la récente découverte d’importants gisements de terre rare en Suède et Norvège relance l’espoir d’une Europe extractive, bien qu’il faille « en moyenne 18 ans entre la mise en place d’un projet minier et les premières extractions », tempère Capucine Nobletz.
Le recyclage apparaît comme une bonne solution pour peser sur la géopolitique des métaux et se prémunir d’un arrêt du robinet chinois. La législation européenne sur les métaux critiques prévoit que d’ici 2030 le recyclage effectué dans l’UE doit permettre de produire au moins 15 % de sa consommation annuelle.
Un objectif très – voire trop -, ambitieux. « L’UE souhaite aussi renforcer son extraction et son raffinage, ce qui, face à une très forte dépendance à la Chine est une mesure urgente de sécurité économique. Mais le recyclage constitue plutôt une vraie opportunité d’avenir », conclu Elvire Fabry.