Les chinois stockent des matières premières pour se préparer à la guerre. Rien de nouveau… sauf le changement de tempo et d’échelle.
En France, cela fait 5 ans que je me bats pour la reconstitution urgente de stocks stratégiques de métaux critiques (dont notre dépendance à la Chine devrait empêcher de trouver le sommeil à tout décideur politique ou d’entreprise normalement constitué)… et jamais encore une réunion sérieuse sur le sujet…
5 années perdues.
lassitude…
Une petite pensée à brechet yves et ses années de combat pour la filière nucléaire avec le sentiment que l’on a du mal à avoir une vision stratégique là où elle est pourtant nécessaire.
Pour continuer sur la lignée de mon précédent post concernant les stocks stratégiques et la sclérose mortifère de la France sur ce sujet, je vais partager ici quelques éléments pour expliciter mon approche du sujet :
Quels métaux stocker ?
Un stock stratégique doit sécuriser une disponibilité en métaux (et potentiellement, mais cela nécessite une autre structuration, les prix des métaux). Dans ce cadre, sont à prioriser :
– les métaux les plus rares, pour lesquels le risque n’est pas juste un risque financier de hausse de prix mais un risque bien réel de rupture de flux (platinoïdes mineurs, bi, re, ge, in…),
– Les métaux pour lesquels l’offre est extrêmement concentrée ou pour lesquels une partie substantielle de la supply chain est aux mains d’Etats non alliés (w, ga, se, terres rares et spécifiquement les terres rares lourdes…).
Par ailleurs les métaux peuvent ne pas être stockés uniquement sous des formes raffinées et pures. Des précurseurs, des sels ou mêmes des déchets métalliques peuvent être intégrés au stock stratégique pour autant que la France ait les capacités de transformation nécessaires sur son sol (ou en Europe à minima).
De quel montant parle-t-on ?
Le montant dépend des métaux que l’on veut stocker, de leurs formes et de leur niveau de raffinage (stocker des scraps n’est pas très cher…). Les besoins en ces métaux les plus rares sont faibles mais ils sont irremplaçables. En stocker des quantités suffisantes ne demande pas nécessairement des milliards.
S’il n’y a bien évidement pas de montant maximal, il faut selon mes calculs un minimum de 100 millions d’euros pour constituer une telle structure afin qu’elle puisse être pérenne et embaucher les bons talents (déjà identifiés) pour la piloter.
Qui pour financer un tel stock ?
Tout dépend de son objectif : S’il est uniquement destiné aux besoins souverains, c’est le rôle de l’Etat de le financer. S’il a une vocation duale civile/défense, l’Etat peut ne pas être le seul financeur.
Il y a plusieurs types de financeurs potentiels :
– L’Etat, qui doit faire face à des arbitrages financiers difficiles… bien que la reconstitution de stocks stratégiques me semble, dans le contexte actuel, un peu plus importants en l’état que les primes à la réparation de smartphones ou au reprisage des chaussettes…
– Les industriels consommateurs… qui vont crier à la perte de compétitivité en cas de recours à leurs deniers… (ce qui pose un conflit d’agence entre l’intérêt des dirigeants avec les bonus à trois ans et les publications de résultats trimestriels et l’intérêt à moyen ou long terme de l’industrie) tout en sachant qu’en cas de problème (et avec un peu de chantage à l’emploi) ils pourront compter sur l’Etat pour intervenir en dernier ressort afin de les aider.
– Les investisseurs financiers, qui vont, en contrepartie, exiger un retour sur investissement relativement important. Cette exigence de rentabilité ne peut que difficilement s’articuler avec une mission d’intérêt général au profit de l’industrie et donc de la souveraineté française.
– L’Europe, enfin, ce qui aurait beaucoup de sens du fait de la régionalisation des supply chains qui fait qu’il n’y a aucune raison de demander au contribuable français de financer un stock pour des industriels qui ont délocalisés leurs usines dans d’autres pays européens. Le problème est qu’à l’heure actuelle, la constitution de stocks stratégique ne fait pas partie des prérogatives de l’Union Européenne.
Cela nous amène à un point central de ce type de structure : quel est le business model recherché ?
Quel business model pour quelle mission ?
Si un stock stratégique n’a vocation à n’être qu’un tas de métal passif et statique, il ne s’adaptera pas à l’évolution des besoins des industriels et sera un centre de coût perpétuel, les deux principaux défauts de ce qui fut la Caisse Française des Matières Premières et qui entrainèrent sa fermeture en 1996.
Si un stock stratégique doit être un centre de profit, se pose alors la question de sa mission d’intérêt général au profit de l’industrie et spécifiquement de son maillon le plus faible et le plus important en termes d’emplois et de potentiel économique : les PME et ETI.
Enfin, une solution intermédiaire, que je privilégie, consisterait en un stock stratégique qui, après un investissement initial (de la part de l’Etat et d’industriels ou de filières industrielles), serait en capacité de générer des revenus suffisant pour subvenir à ses besoins de fonctionnement et même permettre la croissance des quantités stockées.
Un tel schéma doit, à mon sens, reposer sur deux jambes : une jambe de trading et une jambe de gestion active.
L’activité de trading doit permettre l’adaptation du stock en permanence aux évolutions des besoins des industriels tout en dégageant des marges d’intermédiation permettant d’assurer le fonctionnement de la structure. Elle permettrait aussi, en commerçant avec les industriels, d’avoir une meilleure connaissance des marchés, des enjeux, des risques. Elle pourrait aussi permettre de sécuriser les débouchés des recycleurs de métaux en France en leur fournissant des exutoires et, en cas de crise de la demande, en assurant la continuité des débouchés via des achats pour le stock stratégique. Enfin, elle doit permettre de faire ruisseler les métaux vers l’ensemble des ETI et PME (y compris pour des quantités faibles), ce qui est fondamental pour la résilience et l’efficience de l’industrie française.
La gestion active doit quant à elle permettre de tirer parti des prix bas pouvant affecter conjoncturellement certains métaux. Elle doit permettre de stocker avant les crises et non pas pendant (ce qui aurait pour effet de surajouter de la crise à la crise), pour permettre la croissance des quantités stocker et dégager des revenus permettant d’assurer le fonctionnement de la structure.
Quelle devrait être la gouvernance d’un tel stock ?
La gouvernance d’un tel stock, c’est-à-dire la décision d’allouer les métaux en cas de crise, ne peut être que du ressort de l’Etat et des filières industrielles.
Je préconise une gouvernance via les filières industrielles dans le but d’optimiser le retour socio-économique des stocks de métaux critiques avec en amont un droit de préemption de l’Etat pour, en cas de crise d’origine géopolitique, permettre la sécurisation prioritaire des besoins en métaux critiques des industries souveraines.
Pourquoi rien n’avance ?
La France a une historiquement une approche top-down de tous les problèmes stratégiques où le pilotage doit forcément provenir des ministères.
Cette approche montre ses limites notamment du fait de la méconnaissance métier : les enjeux liés au commerce des métaux sont ignorés : le trading, la logistique notamment. C’est pourtant là que se trouve la connaissance des flux et du fonctionnement du marché.
Cela aboutie à des processus stériles déconnectées des réalités de terrain.
C’est la raison pour laquelle il faut constituer une « équipe de France » des métaux critiques faite de professionnels avec des compétences reconnues et complémentaires… work in progress.