L’Usine Nouvelle
vendredi 15 avril 2022
Pourquoi il faut reconstituer des stocks stratégiques de métaux
La crise en Ukraine a relancé les réflexions à Bercy et au ministère de la Défense sur la nécessité de reconstituer des stocks stratégiques de certains métaux dont l’industrie française ne peut se passer.
Et si l’industrie aéronautique française se retrouvait à court de titane ? Les lignes d’assemblage d’Airbus comme de Dassault se retrouveraient rapidement à l’arrêt. Impossible, alors, de produire les pièces de fuselage, les trains d’atterrissage et les structures des ailes. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a fait prendre conscience aux industriels de leurs vulnérabilités. La Russie fournit près de la moitié des besoins en titane des industriels français, selon le Gifas.
Pour éviter les ruptures d’approvisionnements, « il faut faire des stocks, il n’y a pas d’autre solution », a tranché Eric Trappier, le PDG de Dassault aviation devant les députés, fin mars. D’autant que le processus de certification de nouveaux fournisseurs prend dix-huit mois. Chacun de son côté, les industriels s’y sont déjà attelés, comme Safran, qui estime disposer de plusieurs mois pour voir venir. Le stock stratégique national abandonné en 1997
La crise ukrainienne a accéléré les réflexions sur la nécessité de disposer de stocks stratégiques au niveau national. Des discussions ont démarré ces dernières semaines en ce sens au ministère de l’Industrie. La direction générale de l’Armement s’intéresse aussi au sujet. « Nous n’avons pas encore de doctrine, mais nous étudions tous les sujets. Nous sondons les industriels sur leurs besoins », précise-t-on à Bercy.
L’enjeu dépasse la seule dépendance à la Russie. Les industriels de la défense ne peuvent pas plus se passer de cobalt ni de tungstène, sur lesquels la Chine a la main, ni de niobium, produit au Brésil. Sans ruthénium, co-produit du platine essentiellement extrait en Afrique du Sud, il est difficile de produire certains superalliages utilisés dans les parties chaudes des moteurs d’avion.
L’idée de constituer des stocks stratégiques a un précédent en France. Au lendemain de la crise pétrolière, en 1975, l’Etat avait mis sur pied un stock national pour les matières premières minérales, transformé dans les années 1980 en Caisse française des matières premières. Sur la durée, l’expérience n’a pas laissé un souvenir impérissable. Les pouvoirs publics n’ont pas adapté le stock à l’évolution des besoins des industriels, le rendant vite obsolète. Avec la fin de la guerre froide, la perception du risque a reculé et les prix des matières ont chuté lorsque les pays de l’Est ont dispersé leurs propres stocks stratégiques. Et en 1997, la France a liquidé son stock stratégique. Une démarche ciblée sur les métaux de spécialité
Et maintenant ? Pour éviter les mêmes erreurs, la version 2.0 du stock stratégique pourrait « être couplée à une centrale d’achat et faire tourner le stock en permanence en fonction des besoins », plaide Vincent Donnen, fondateur d’un fonds sur les métaux rares, qui a déjà planché sur un projet de stock stratégique privé il y a quelques années. Elle devrait se concentrer sur les métaux stratégiques non cotés, pour lesquels le volume de production est faible. Platinoïdes, tantale, terres rares… Étant donné les quantités, ils sont moins recyclés que d’autres et leur approvisionnement souvent concentré dans quelques pays. « Sur les métaux de spécialité, qui concernent de petits volumes, il y a des choses à faire », abonde Philippe Varin, qui vient de remettre un rapport sur l’approvisionnement en métaux critiques. En revanche, « ce serait une vue de l’esprit de vouloir sécuriser l’approvisionnement en lithium ou en nickel », juge-t-il.
Plusieurs questions restent en suspens. Quel métal, en quelle quantité et pour qui faudrait-il stocker ? Le rôle de l’Etat devra aussi être précisé, tout comme la gouvernance du stock et les entreprises qui pourraient en bénéficier. Si la France s’engage dans cette voie, elle se rapprochera de l’exemple du Japon, de la Corée du Sud et des Etats-Unis, qui disposent chacun de stocks stratégiques. Au Japon, celui-ci couvre 60 jours de consommation des métaux critiques ciblés, dont 18 jours à la charge de l’Etat.