La gestion passive, frein aux investissements dans les matières premières de demain

 

ACTIFS RÉELS Le monde de demain ne se fera pas avec les métaux d’hier ni avec les entreprises d’hier. Pourtant, c’est bien dans ce monde d’hier que proposent d’in- vestir les véhicules passifs

Le principal reproche fait aux véhicules de gestion passive est qu’ils ajoutent une strate de coûts à des investissements directs et, ce faisant, voient leurs rendements bridés par rapport à leurs benchmarks. Cela n’est que partiellement vrai car les véhicules de gestion active sont plus onéreux encore et, bien que ces derniers prétendent compenser leurs coûts supérieurs par une valeur ajoutée de gestion, ces promesses n’engagent que ceux qui y croient. Aussi, cet argument souvent mis en avant pour critiquer la gestion passive peut apparaître comme pour le moins discutable. Dans le domaine des matières premières, les véhicules passifs sont attaqués sur le fait qu’ils ne reposent pas sur des matières physiques. Cet argument est là aussi discutable puisque nombre d’ETF/ETC sont «backés» par des métaux stockés. Les vrais problèmes sont, selon nous, ailleurs.

Les véhicules de gestion passive doivent, pour exister, être précédemment créés. Cela induit que l’investisseur est tributaire du fait qu’une contre- partie a nécessairement dû penser à cet

investissement avant lui.Dans un monde immuable, on imagine sans mal que l’ensemble du spectre des thèmes d’investissement a déjà donné lieu à des véhicules permettant d’y prendre part. Tel n’est pourtant pas le cas, dynamique du monde oblige, a fortiori en cette période où les tensions géopolitiques et les urgences énergétiques et climatiques imposent de repenser l’ensemble de notre société mondialisée et de nos chaînes d’approvisionnement, et ce jusqu’à l’échelle des matières premières. Décarboner nos économies impose de recourir à des technologies nouvelles reposant sur des acteurs nouveaux et des matières premières nouvelles. Les exemples sont légion, dans l’automobile, dans l’énergie ou dans la tech.

Le risque est de prendre les tendances à rebours: investir a posteriori dans l’espoir de participer à la performance passée

L’économie de l’hydrogène et les pro- chaines générations de réacteurs d’avion nécessitent des platinoïdes rares (iridium pour les Proton Exchange Membranes (PEM) permettant d’obtenir de l’hydrogène vert et du ruthénium pour les superalliages au nickel de dernière génération). Les véhicules passifs sur les platinoïdes ne proposent que du platine, du palladium et du rhodium: des éléments dont la demande industrielle dépend presque exclusivement des moteurs à combustion interne et qui n’ont, de ce fait, plus aucun avenir.

Gestion passive vs gestion active

Les véhicules de gestion passive ne sont créés que pour répondre à l’appétit des investisseurs, c’est-à-dire qu’ils doivent avoir été préalablement identifiés comme un thème d’investissement porteur. Les actifs doivent donc faire leurs preuves avant d’être proposés aux investisseurs. Cela se produit généralement après qu’une condition initiale a été remplie, à savoir une phase haussière forte et médiatisée d’un actif jusqu’alors exotique (comme ce fut le cas récemment pour le cobalt et le lithium). Dans ce genre de cas, la performance de cet actif a donc été, au moins en partie, réalisée avant même qu’un véhicule passif ne permette d’y prendre part. Le risque est ainsi de prendre les ten- dances à rebours en investissant a posteriori dans l’espoir de participer à la performance passée… qui par nature est passée et perdue.

Du macro sans discrimination

Une des autres limites de l’investissement passif est qu’il ne permet pas de ségrégation entre différents actifs au sein d’une même thématique. Ce faisant, il cantonne l’alpha réalisable à l’échelon supérieur, à savoir à la vision macro. Cette incapacité à faire des paris spécifiques (discriminer les sous-jacents), est plus confortable et sécurisante sur des thématiques qui sont moins bien maîtrisées par l’investisseur, mais cela se fait au prix de l’alpha sur le picking. Si l’on revient à l’exemple des métaux, imaginons un véhicule de gestion passive sur les métaux rares nécessaires à la transition énergétique. Comment constituer un tel portefeuille? En se basant sur les métaux utilisés aujourd’hui? Avec une allocation des métaux correspondant à la part de marché de chaque technologie actuelle? Doit-il au contraire faire des paris basés sur une analyse des technologies et des besoins futurs? Les métaux des cellules solaires à couche mince (tellure, cadmium, gallium, indium) doivent-ils avoir un poids important ou doivent-ils être négligeables du fait de la faiblesse de leur part de marché actuelle? Les technologies émergentes

à nanofils de gallium peuvent doubler le rendement des panneaux solaires dans le futur. Faut-il inclure et surpondérer le gallium? Quid de l’inclusion des métaux du nucléaire (hafnium, zirconium notam- ment) quand on sait que la décarbonation ne pourra se faire sans cette filière? Quid de la prise en compte des enjeux de disponibilités et, notamment, de la rareté géologique des métaux visés dans l’allocation (le silicium est près de 2 millions de fois plus abondant en masse que l’indium et 120 millions de fois plus abondant que le tellure)?

L’investisseur déresponsabilisé

La gestion passive dédouane l’investisseur de prendre des paris, de faire des analyses pour obtenir une compréhension et une conviction. Au contraire de la gestion active qui impose de «mettre les mains dans le cambouis» et de prendre ses responsabilités, les véhicules passifs permettent finalement de toucher à toutes les classes d’actifs sans pour autant avoir à les comprendre.

 

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