L’Express

 

Environnement, jeudi 10 novembre 2022

COP27 : argent contre métaux, la nouvelle division Nord-Sud

La COP27 nous rappelle une autre évidence : si la manne financière est dans les pays du Nord, les ressources en métaux stratégiques nécessaires à la transition énergétique sont pour la plupart au sud.

« Les pacifistes sont à l’ouest, les missiles sont à l’est. » A quelques jours de la conclusion de la COP27 qui se tient en Egypte, il n’est pas inutile de se rappeler ce mot fameux de François Mitterrand, prononcé voici près de quarante ans, en pleine crise des euromissiles. Le président français résumait cette vérité bien connue des stratèges : toute guerre se gagne, en définitive, lorsque est rétabli l’équilibre des forces, en l’occurrence, les missiles Pershing américains pour contrer les SS-20 soviétiques déployés dans les années 1970 en Europe de l’Est. Et s’il en allait de même pour gagner la guerre que nous menons contre la crise climatique?

Car, s’il est un mérite qu’aura eu cette COP27, c’est de jeter une lumière crue sur un déséquilibre flagrant : l’insuffisance des investissements financiers dans la transition énergétique dans l’hémisphère Sud, particulièrement en Afrique subsaharienne. Le président de la Banque mondiale n’y est pas allé par quatre chemins : « Il n’y a pas un sou qui aille dans cette partie du monde. Point à la ligne. » Ce constat est particulièrement dérangeant à l’heure où jamais les investissements mondiaux dans les technologies énergétiques à faible émission de carbone – renouvelables, hydroélectricité, nucléaire, chaleur et transports électriques… – n’ont été aussi élevés qu’en 2021, avec un record de 785 milliards de dollars, soit un bond de 24 % par rapport à l’année précédente.

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Or, sur ce montant, seuls 8 % ont été investis dans le monde émergent et en développement. Une absurdité géographique au regard du potentiel renouvelable de ces pays? Evidemment. Une aberration économique et sociale au vu des besoins de croissance de régions en forte dynamique démographique? Bien sûr. Mais une évidence du point de vue des investisseurs : très gourmands en capitaux, les investissements dans les énergies bas carbone ont besoin d’un cadre réglementaire clair et stable, qu’il s’agisse des conditions contractuelles de rémunération des producteurs ou de la délivrance des permis fonciers. Faute d’un tel cadre dans nombre de pays de l’hémisphère Sud, la prime de risque demandée par les financeurs se traduit par un coût du capital de trois à quatre fois supérieur à celui qui est exigé dans les pays développés! Le résultat est sans appel. Selon l’Agence internationale de l’énergie, si l’on considère les seules énergies renouvelables et investissements associés – stockage, réseaux -, l’intégralité des flux financiers est réservée aux pays développés et à la Chine.

Argent contre métaux

Et pourtant, cette COP africaine nous rappelle une autre évidence : si les ressources financières sont au nord, les ressources en métaux stratégiques nécessaires au fonctionnement des technologies de la transition sont, pour la plupart, au sud. En pleine COP, l’Indonésie s’est rappelée au souvenir des traders de matières premières comme des pays du Nord qui se précipitent vers le tout-électrique automobile en annonçant son projet de créer un « cartel du nickel ». Premier producteur mondial, détentrice du quart des réserves mondiales de nickel, l’Indonésie n’en est pas à son premier coup d’essai. Embargos successifs sur les exportations de minerai brut pour pousser les transformateurs à s’installer dans l’archipel pour y raffiner le métal, annonce d’une taxe sur les exportations de nickel avec le même but, tout est bon pour développer une chaîne de valeur qui irait de la mine au véhicule électrique. Ce, malgré les poursuites engagées depuis 2019 par l’Union européenne devant l’Organisation mondiale du commerce.

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D’autres Etats emboîtent le pas à l’Indonésie. Comme le souligne Vincent Donnen dans une note récente de l’Ifri, en Afrique, les réformes récentes des codes miniers, de la République démocratique du Congo à la Tanzanie, ainsi que l’interdiction d’exporter des platinoïdes non raffinés du Zimbabwe vont dans ce sens. En Amérique latine, le « triangle du lithium », composé du Chili, de l’Argentine et de la Bolivie (53 % des réserves prouvées), a également prononcé le mot tabou de « cartel », avant de se raviser.

« Nationalisme des ressources » : l’expression resurgit au nord, où l’on est obsédé depuis la crise sanitaire, et plus encore avec la guerre en Ukraine, par l’idée de relocaliser les secteurs critiques de l’économie chez soi ou près de chez soi, à défaut dans des pays « amis », pour reprendre le néologisme en vogue aux Etats-Unis de friendshoring. « Souveraineté », répondent les Etats du Sud, renvoyant ainsi les pays développés à leur fantasme de souveraineté tous azimuts – énergétique, alimentaire, numérique, nationale, européenne. Argent contre métaux? Quel beau sujet pour la COP28 de 2023!

 

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