Métaux sales, métaux de guerre, travail des enfants, face sombre de la transition énergétique. On lit et entend tout cela régulièrement dès lors que le sujet des métaux rares/critiques/stratégiques est abordé. Derrière ces lieux communs, ces raccourcis analytiques et cette bonne conscience à pas cher qu’aucun de ses auteurs n’a à assumer, se cache une réalité : la production de métaux a des incidences environnementales réelles dont nous sommes collectivement, en tant que consommateurs finaux, responsables.

 

Les métaux rares, et la pollution associée à leur extraction, seraient la face sombre des transitions énergétique et numérique selon bien des publications.

 

Dans ce billet un peu particulier, nous n’allons pas nous focaliser sur les problèmes sociaux et sociétaux imputés à ces métaux : le sujet est vaste, polémique et fondamentalement difficile à gérer sans un important travail de terrain. Nous allons essayer d’analyser et de vulgariser au mieux les enjeux environnementaux liés à la production de métaux rares en nous basant sur des données factuelles. La première question à se poser ici est la suivante :

 

Maman, comment on fait du métal ?

 

Le métal est extrait du minerai par une variété de processus physiques, chimiques et thermiques.

 

Tout commence par de la roche, une roche riche en éléments métalliques qu’il va falloir extraire de la mine (souterraine ou à ciel ouvert) afin de la broyer. Le broyage doit permettre de parvenir à la maille de libération, c’est-à-dire la taille suffisante pour que les grains de métaux emprisonnés dans la roche soient libérés de la gangue. Le minerai va ensuite être concentré puis séparé sélectivement par divers procédés chimiques et thermiques (pyrométallurgie, hydrométallurgie, extraction sélective) jusqu’à obtenir le métal à la pureté voulue et avec un niveau d’éléments traces satisfaisant à l’usage souhaité. Chacune des étapes de ce long processus est extrêmement intensive en énergie, qu’elle soit mécanique pour l’extraction et le broyage, chimique pour l’hydrométallurgie ou thermique pour la pyrométallurgie.

 

Impact environnemental ? Pollution ? De quoi parle-t-on ?

 

Nous savons que la mine pollue. Mais comment quantifier cette pollution?

 

Il n’y a pas une seule et unique unité de comptabilité de la pollution. Emission de CO2, d’oxydes d’azotes, de métaux lourds… Alors faisons un rapide état des lieux de toutes ces externalités négatives :

1. Il y a tout d’abord et évidemment les rejets de CO2 associés à la consommation d’énergie :

  • Fossile (gazole) essentiellement pour les mines à ciel ouvert (tombereaux, pelleteuses…)
  • Électrique essentiellement pour les mines souterraines (levage, ventilation, éclairage…)
  • Électrique essentiellement pour le broyage
  • Chimique pour l’hydrométallurgie (utilisation d’acides pour séparer les éléments par dissolution)
  • Fossile (charbon) ou électrique pour la pyrométallurgie.

Ces processus ayant essentiellement lieu dans des pays émergents, l’électricité utilisée est généralement issue de combustibles fossiles et donc génératrice de CO2.

2. Consommation d’eau et compétition sur l’accès à l’eau.

3. Drainages miniers acides (DMA). Ils apparaissent lors de l’entrée en contact des roches du sous-sol riches en sulfures avec de l’eau. Cela peut se faire dans des galeries souterraines noyées ou dans des stériles miniers. La percolation de l’eau dans ces tas de roche excavée et broyée entraine la formation d’acide sulfurique. Cet acide sulfurique peut ensuite polluer les nappes phréatiques et les cours d’eau en entrainant une mortalité importante parmi la faune et la flore.

4. Métaux lourds et éléments radioactifs. Du fait de certains facteurs notamment géochimiques, des métaux non-désirés sont généralement associés aux métaux cible de l’exploitation minière. Le broyage de la roche va permettre de libérer, en plus du ou des métaux recherchés, ces métaux lourds ainsi que des éléments radioactifs qui étaient jusqu’alors prisonniers de la gangue. Quels sont-ils ? Arsenic, antimoine, plomb, mercure, thallium, uranium, thorium… Un tas d’éléments très toxiques qui vont se retrouver libres dans les stériles miniers, prêt à voyager grâce à l’érosion hydraulique ou éolienne… pour empoisonner la vie alentour.

Ainsi, lorsqu’on fait le bilan, il est clair que la production de métaux est une activité sale et qui le restera. Passé ce constat, une question se pose : comment quantifier son impact pour chaque métal ?

Les pollutions engendrées par la production de métaux sont, comme cela vient d’être développé, très diverses et il est de ce fait délicat d’en faire une synthèse. Pour cette raison, la suite de l’article se focalise sur le CO2 (qui n’est pas, à proprement parler un polluant) car il s’agit de l’externalité négative de la production de métaux qui soit la plus aisément quantifiable. Son impact est par ailleurs global (les pollutions aux métaux lourds, éléments radioactifs et DMA étant localisées) et il est possible d’en établir un bilan comparant effets négatifs (émissions de CO2) et effets positifs (gains d’efficience et économies en CO2 associées aux applications technologiques des métaux).

 

Première approximation

Il est possible d’établir une règle relativement générale : au-delà des « prédispositions naturelles » du minerai évoquées plus haut (ex : contenu en métaux lourds ou en sulfures), ces pollutions sont très fortement corrélées au volume de roche extrait et broyé.

 

La mine de cuivre, d’or et d’argent de Kennecott, à l’extérieur de Salt Lake City, Utah

 

Le volume de roche broyé est quant à lui obtenu en multipliant la teneur en métal du minerai par la production de métal souhaité. Par exemple, on a, depuis le début de son exploitation, extrait 6 milliards de tonnes de roche de la mine de cuivre de Kenecott (Utah, Etats-Unis) pour produire 18 millions de tonnes de cuivre (soit l’équivalent d’un an de production mondiale actuellement).

On ne peut donc pas comparer directement l’impact de la production de 20 millions de tonnes de cuivre avec celui de 200 tonnes de platine en disant que la première pollue 100 000 fois plus que la seconde car la teneur en platine du minerai dont il est extrait est infiniment plus faible que celle en cuivre du minerai de cuivre.

Alors comment obtenir une bonne approximation intuitive de l’impact environnemental de la production d’un métal par rapport à un autre ?

  1. D’une part, comme l’illustre le graphique ci-dessous à gauche, il a été montré que l’énergie nécessaire à la production d’un métal est directement liée à la dilution de ce métal dans la roche (Johnson (2007), Gütowsky et al. (2012)).
  2. D’autre part, il a aussi été montré (comme l’explique clairement Olivier Vidal, chercheur au CNRS, dans ses interventions) que les prix des métaux (et par extension même de l’ensemble des biens, à l’exception des rentes et monopoles) sont extrêmement corrélés à la quantité d’énergie nécessaire à leur production (car les rendements financiers s’égalisent par effet d’aubaine). Il y a donc une corrélation très forte entre l’énergie totale requise par la production de métaux et la taille économique du marché de ces métaux (taille idéalement lissée sur plusieurs années afin d’obtenir une donnée plus fiable).

Ainsi donc, la taille économique du marché d’un métal est une bonne approximation de la quantité d’énergie nécessaire à son obtention et donc du niveau de pollution de cette même production.

Comparons ici la production de cuivre à celle d’or :

20 millions de tonnes de cuivre à environ 9 USD/kg = un marché d’environ USD 180 milliards par an. Etant donnée la corrélation linéaire que nous venons de constater entre la taille de marché d’un métal et son niveau de pollution, nous pouvons dire que le cuivre produit annuellement 180 « unités de pollution».

A titre comparatif, 3200 tonnes d’or (production mondiale annuelle primaire) à environ 55 000 USD/kg correspondent à 176 « unités de pollution».

Ainsi, de manière approximative, la production de 3200 tonnes d’or (qui ne sert à rien) serait aussi polluante que la production de l’ensemble du cuivre nécessaire… à tout.

Dit autrement, la production d’un kg d’or polluerait 6700 fois plus que celle d’un kg de cuivre… et on ne parle même pas des désastres écologiques liés à l’orpaillage illégale en Guyane et ailleurs.

 

Rendements décroissants = Intensité énergétique croissante

 

Les rendements décroissants de l’activité minière induiront une croissance de leur impact environnemental.

 

Comme cela a été expliqué, une partie de l’énergie nécessaire à la production de métaux est directement corrélée à la teneur en métal du minerai. De ce fait, les rendements décroissants des gisements métallifères induisent que l’intensité énergétique des métaux, et donc leur impact environnemental, ne cesseront de croitre tendanciellement. Autrement dit, il faudra plus d’énergie pour produire un métal demain qu’il n’en faut pour le produire aujourd’hui (et au passage, un métal produit demain devra donc valoir, toute chose égale par ailleurs, plus cher qu’un métal produit aujourd’hui).

La teneur moyenne en métaux des gisements va ainsi tendre vers l’abondance moyenne dans la croûte terrestre à mesure que sont exploités et taris les gisements les plus riches. Problème d’entropie.

 

Méthodologie et littérature scientifique : L’ACV qui met tout le monde d’accord !

En science, les jugements de valeur n’ont pas leur place. Seuls les faits comptent et l’arbitre de tout ceci a un nom : ACV ou Analyse de Cycle de Vie (LCA – Life Cycle Assessment en anglais). L’ACV permet de quantifier les impacts environnementaux liés à la production de n’importe quel bien ou service (une coupe de cheveux à Megève ou une montre suisse en Lettonie). Concernant les métaux, cela tombe bien, il existe tout un tas d’ACV sur la question. Nous sommes donc capables de connaître avec une fiabilité relativement élevée (aux limites près des frontières d’études et de l’accessibilité des données disponibles) l’impact précis de la production de chaque métal… pour autant que celui-ci soit obtenu en tant que produit primaire… auquel il est possible d’imputer une pollution.

 

Les métaux rares : il faut toujours qu’ils se fassent remarquer !

 

Les métaux rares sont pour la plupart des sous-produits de métaux de base et de métaux précieux.

 

C’est en effet là que se trouve la spécificité des métaux rares : ils ne sont pas obtenus parce qu’on les veut (enfin, quand même un peu) mais parce qu’on les trouve avec des métaux que l’on veut (que l’on nomme les produits primaires).

La quasi-totalité des métaux rares sont obtenus majoritairement et même exclusivement pour certains, en tant que co-produits ou sous-produits de métaux de base ou de métaux précieux (or, argent et platine).

Les métaux rares n’étant ainsi pour la plupart que des « bonus » aidant à l’abaissement du coût de production du métal cible, leur impact en termes de pollution n’est pas directement calculable.

Pour cette raison, il n’existait pas, dans la littérature scientifique d’ACV sur les métaux rares permettant de quantifier de manière fiable leur degré de « saleté ».

 

Life Cycle Assessment of Metals: A Scientific Synthesis

C’est en 2014 qu’a été publié « Life Cycle Assessment of Metals: A Scientific Synthesis ». Dans ce travail de recherche, les scientifiques (Philip Nuss, Matthew J. Eckelman) ont réalisé des ACV pour 63 métaux, dont un grand nombre de métaux rares en prenant pour référence les données de production de l’année 2008 (qui commence à dater).

Voici les étapes de leurs travaux :

  • Ventilation de la production pour chaque élément (ex : l’argent provient à 17% du minerai de cuivre, à 28% du minerai de plomb, de 34% du minerai or-argent, et à 21% de sources secondaires (recyclage)
  • Ventilation par les formes d’utilisation pour chaque élément (80% sous forme de pellets pour le rhénium et 20% sous forme d’APR – perrhénate d’ammonium)
  • Imputation aux métaux co-produits/sous-produits d’un impact proportionnel à l’allocation économique (part du chiffre d’affaires de la mine)
  • Analyse des trois principales étapes de production : minage/concentration, purification, raffinage.

Voici le résultat de ce travail en termes d’émissions de CO2 par kg produit :

Et voici le résultat consolidé :

 

L’échelle logarithmique n’aidant pas à une compréhension intuitive, Nous avons essayé, dans le tableau ci-dessous, de reproduire les données du graph précédent en appliquant les chiffres de production mondiale annuelle des métaux (USGS) et le résultat est très cohérent :

 

 

Ainsi donc, si on additionne l’impact CO2 de l’ensemble des métaux rares (en gris dans le tableau), on arrive à un impact équivalent à moins d’un tiers de celui de la simple production d’or… qui, osons le rappeler, ne sert à… Rien !

Plus parlant encore, l’ensemble des métaux rares réunis représente 0,79% seulement de la pollution liée à l’ensemble de métaux et même, si on retire des métaux rares les métaux précieux que sont le platine, le palladium et l’argent, on arrive à 0.53%.

Dès lors, ces 0.53% peuvent-ils justifier la campagne de « rare metals bashing » ? Libre à chacun d’en décider !

La mine est sale… Et elle le restera. Et comme on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, on ne fait pas de métaux sans casser des roches… et des biotopes. Pour reprendre Voltaire : « C’est à ce prix que vous avez du sucre en France. »

Pour autant, tout n’est pas gris dans l’univers des métaux. En effet, si nous voulions être exhaustif sur l’impact environnemental des métaux rares, il conviendrait de prendre aussi en considération l’impact à l’usage de ces métaux.

 

Gains d’efficacité

 

Les métaux rares tels que le rhénium sont des composants essentiels d’alliages légers et résistants, et permettent donc des gains d’efficacité considérables en aéronautique.

 

Prenons l’exemple du rhénium qui sert majoritairement dans les superalliages au nickel des turbines à gaz et des réacteurs d’avions. Quel serait le surplus de consommation d’énergie (gaz ou kérozène) induit par l’abandon de ce métal ? 5% ? 10% ? 20% ? A l’échelle de la consommation du transport aérien mondial (3% environ du CO2 mondial) on pourrait vite aboutir à des chiffres qui sont sans commune mesure avec l’énergie nécessaire à l’obtention de ce métal. (L’extraction de l’ensemble des métaux rares produisant, d’après le tableau ci-dessus, environ 0.05% du CO2 mondial).

Plus fou encore : si on considère que l’ajout de rhénium permet un gain de 10% sur la consommation des avions, alors le rhénium à lui seul génèrerait une « économie de consommation » de 0.3% du CO2 mondial… soit 5 à 6 fois plus que l’impact CO2 issu de la production de l’ensemble des métaux rares !

On pourrait dire la même chose du vanadium qui permet l’allègement des aciers (notamment dans l’automobile), du néodyme qui permet un gain de rendement des moteurs électriques et des économies de maintenance (et donc d’énergie) pour les éoliennes offshores…

Que dire aussi du nitrure de gallium qui permet des gains d’efficacité remarquables par rapport au silicium dans les applications électroniques ? Du gallium qui a permis la révolution des led et la division par 10 des besoins d’énergie liés à l’éclairage (hors effet rebond) ?

 

Génération d’énergies renouvelables

 

La décarbonation de nos économies ne pourra pas être possible sans métaux rares.

 

De même, le bilan est très différent si l’on considère le rôle des métaux rares dans la production d’électricité décarbonée. Que ce soit dans le photovoltaïque (indium, tellure, argent, gallium…), dans la thermoélectricité (tellure, germanium), l’éolien (néodyme) ou même dans le nucléaire (hafnium, zirconium…), les métaux rares sont des éléments essentiels et indispensables au monde de l’après énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) qui est en train de se dessiner.

 

Conclusion

Bien qu’il soit impossible de quantifier de manière fiable l’ensemble des gains attribuables à chaque métal rare, en termes de tonnes de CO2 économisées par leurs applications technologiques, par tonne de métal produit, il est néanmoins raisonnable d’estimer que le bilan écologique global des métaux rares est très largement positif, comme l’a montré notre calcul rapide sur le rhénium, et prenant pour certaine la croissance continue des secteurs du transport et de l’électronique.

Il serait possible de donner encore des milliers d’exemples des choses extraordinaires que permettent ces métaux rares, ces épices des matériaux, sur lesquels repose notre qualité de vie. Le but n’est pas ici de dédouaner la supply chain des métaux de ses responsabilités mais de rétablir un peu de justice et de vérité dans l’acharnement médiatique, encore une fois facile, que l’on perçoit chaque jour sur ces métaux rares. Il est à noter au passage, concernant la différence de traitement médiatique par rapport aux autres métaux dont l’or, que ces métaux rares ne bénéficient du soutien d’aucun géant minier ni d’aucune filière industrielle puissante. C’est peut-être car aucun lobby n’a d’intérêt à protéger leur réputation qu’ils sont devenus ce qu’ils sont : les boucs émissaires d’un mode de vie que l’on refuse d’assumer.

Pour conclure, la couverture médiatique de l’impact environnemental des métaux rares est inversement proportionnelle à leur impact réel.

 

Pour aller plus loin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *