Comme il en est pour bien d’autres métaux rares de notre univers d’investissement, le rhénium est un métal dont la crise du Covid-19 a impacté à la fois la production minière (le rhénium étant un sous-produit de sous-produit), et la demande (venant principalement du secteur aéronautique). Toutefois, malgré la turbulence et les incertitudes actuelles, il y a peu de doute que les propriétés physiques du rhénium le rendront de plus en plus indispensable pour les technologies aéronautiques du futur, nécessitant des superalliages toujours plus résistants et légers.

Or, le prix du rhénium se trouve aujourd’hui à un niveau historiquement bas.

Nous pensons qu’une forte demande devrait, à long terme, l’emporter sur les effets baissiers d’une industrie aéronautique actuellement en crise. Investir dans le rhénium pourrait donc être une idée particulièrement intéressante en cette fin d’année 2020 : voilà pourquoi nous avons décidé d’en faire le sujet de nos deux prochains articles.

 

Qu’est-ce que le rhénium ?

 

Les propriétés réfractaires du rhénium en font un élément incontournable pour l’aéronautique

 

Le rhénium, de symbole chimique Re, est un métal de transition de numéro atomique 75. Le rhénium est un métal particulier de par sa rareté, la difficulté à l’extraire ainsi que les propriétés spécifiques qu’il apporte à des produits de technologie de pointe. Il est par ailleurs un  sous-produit de sous-produit, ce qui est unique parmi les éléments chimiques. Métal très dense (21,02 g/cm3), le rhénium possède une température de fusion très élevée de 3 185 °C (uniquement surpassée par celle du tungstène et du carbone), lui conférant des propriétés réfractaires exceptionnelles.

Le rhénium est un des éléments les plus rares de l’écorce terrestre, le 77ème par ordre d’abondance. Sa teneur en masse dans l’écorce terrestre est comprise entre 0,7 et 7 ppb (partie par milliard, 1 ppb est équivalent à 1 mg/tonne). Son principal minerai est la molybdénite, MoS2, présent en Amérique du Nord et du Sud, mais on peut également trouver du rhénium dans des gisements de cuivre sédimentaires au Kazakhstan, en Pologne ou en Arménie. Le rhénium est donc principalement un sous-produit du molybdène, lui-même majoritairement sous-produit du cuivre.

La production annuelle de rhénium primaire avoisine les 50 tonnes par an, auxquelles s’ajoutent environ 20 tonnes issues du recyclage. Le Chili est le principal producteur de rhénium et concentrait 56 % de la production mondiale en 2018. Viennent ensuite les Etats-Unis et la Pologne avec respectivement 18 % et 14 %.

 

Histoire du rhénium

La découverte du rhénium a été assez tardive. En effet, Mendeleïev avait prédit l’existence du rhénium en 1871 après avoir construit le tableau périodique des éléments : il avait laissé deux cases vides sous le manganèse. Cependant, la découverte de ses deux éléments s’est avérée ardue. En effet, positionné le plus bas dans le tableau, le rhénium est le dernier élément stable, non radioactif, et présent naturellement dans la croûte terrestre à être découvert. Le rhénium n’a été isolé qu’en 1925 en Allemagne, par W. Noddack, I. Tacke et O. Berg, dans un minerai de platine, où le rhénium représentait une impureté. Le rhénium a été baptisé ainsi d’après le Rhin, Rhenus en latin.

 

Les composés de rhénium

Le marché du rhénium se divise en deux principaux composés : le perrhénate d’ammonium (APR), de formule NH4ReO4, ainsi que le rhénium métal :

  • L’APR est synthétisé par pyrométallurgie de concentrés de molybdénite, minerai riche en molybdène. Lors du grillage de la molybdénite aux environs de 600° C, des gaz contenant de l’oxyde de rhénium sont formés. L’oxyde est ensuite traité et récupéré par élution à l’aide d’ammoniac (NH4) pour former l’APR. Le taux de récupération du rhénium est d’environ 60 %. L’APR est un composé de rhénium directement utilisé comme catalyseur en pétrochimie mais il est également un produit intermédiaire pour la synthèse du rhénium métal.
  • L’APR peut en effet être réduit à chaud par du dihydrogène afin de former le rhénium métal. Une fois la poudre de rhénium obtenue, des pellets de rhénium métal sont élaborés par frittage des poudres. La pureté du métal est alors de 99,9 %. Le rhénium métal est ensuite incorporé dans les différents alliages métalliques qu’il compose et notamment les superalliages.

 

Les applications du rhénium

Durant les trente dernières années, le rhénium a été majoritairement utilisé dans la fabrication de superalliages à hautes performances ainsi que pour l’élaboration de catalyseurs associant platine et rhénium, destinés à l’industrie pétrolière.

Consommation de rhénium par usage.
Source: USGS, 2017

 

Les superalliages concentrent près de 80 % de la demande en rhénium et sont largement utilisés dans le secteur aéronautique. Ces alliages permettent une résistance exceptionnelle des pièces dans des conditions de fonctionnement à haute température, ainsi qu’une résistance accrue face à la corrosion, au fluage et l’usure. Il existe de nombreux superalliages contenant principalement du fer, du nickel et du cobalt mais leurs compositions peuvent différer largement. Le rhénium, quant-à-lui n’est utilisé que dans les superalliages à base de nickel. En effet, ces alliages composent les pales monocristallines de turbines utilisées pour les turboréacteurs aéronautiques ou bien des turbines industrielles à gaz. Ces pièces sont le siège de fortes contraintes thermiques en service car proches de la zone de combustion. Le tableau ci-dessous présente les compositions de certains alliages à base nickel.

 

Composition des superalliages en % massique
Source : Franck Nozahic, thèse 2016, DOI: 10.13140/RG.2.2.28248.60169

 

Les teneurs en rhénium ont augmenté au cours de l’élaboration des différentes générations de superalliages nickel jusqu’à atteindre 6,4 % en masse. L’ajout de rhénium améliore significativement les propriétés mécaniques des alliages mais des teneurs trop élevées peuvent néanmoins apporter un effet inverse en détériorant les caractéristiques de l’alliage. L’enjeu pour les nouvelles générations de superalliages nickel est d’optimiser les teneurs des différents métaux les composants et notamment le rhénium.

L’usage du rhénium est également indispensable pour le secteur de la défense. En effet, les températures atteintes par les motorisations militaires sont plus élevées que dans le civil, jusqu’à 1600° C, et leur consommation de ce métal rare stratégique est conséquemment plus importante. Roskill estime la part de rhénium utilisée pour l’aviation militaire à 37 %, alors que le marché de l’aviation militaire ne pèse que 11 % sur le marché total aéronautique.

Consommation du rhénium par secteur
Source: Prometea, Rhenium factsheet, 2020

 

L’utilisation des superalliages contenant du rhénium par les motoristes aéronautiques ainsi que pour la génération d’énergie par turbine à gaz concentre donc près de 80 % de la demande en rhénium. Un autre secteur demandeur est celui de la pétrochimie, où le rhénium est un élément de choix pour certains catalyseurs.

 

La pétrochimie: un autre secteur demandeur en rhénium

 

En effet, les catalyseurs qui associent platine et rhénium sont largement utilisés dans le processus de raffinage du pétrole brut afin d’augmenter l’indice d’octane des carburants. Plusieurs dérivés pétroliers peuvent être obtenus avec notamment l’essence et le gasoil, l’essence à haut niveau d’octane, mais aussi du benzène, toluène, xylène… L’ajout de rhénium dans les catalyseurs comportant du platine permet d’augmenter les plages de températures qui permettent un raffinage efficace. Le rhénium améliore également la capacité de récupération du catalyseur qui peut être utilisé à nouveau sur de nouveaux cycles de raffinage.

Enfin, d’autres applications ont recours au rhénium pour ses propriétés réfractaires dans des quantités bien moindres qui représentent environ 6 % du marché du rhénium :

  • Le rhénium entre dans la composition de certaines résistances de fours électriques, de filament de lampes à incandescence.
  • Les thermocouples utilisés à haute température, jusqu’à 2800° C, nécessitent des alliages de tungstène et rhénium.
  • Le rhénium permet l’élaboration d’alliages avec du tungstène ou du molybdène utilisés dans les anodes de tubes à rayons X destinées pour les radiographies dans le secteur médical.

Devrions-nous investir dans le rhénium? Cette question-là fera l’objet de notre prochain article, dans lequel nous parlerons du marché du rhénium, et des perspectives que notre analyse peut offrir à l’investisseur potentiel.

 

Sources

  • L’élémentarium, fiche de l’élément rhénium, 2019.
  • BRGM, Panorama 2010 du marché du rhénium, Septembre 2011.
  • Argus Metal, 2020.
  • USGS, 2020.
  • Lipmann Walton & Co Ltd, Rhenium, 2020, https://www.lipmann.co.uk/rhenium.

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